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Sabrina Mariez
DAVID : LACHANTAL PEEMZHAWEL
Impression jet d’encre pigmentaire. Édition 1/5. 60x60 cm.
Le monde qu’explore depuis de nombreuses années la photographe Sabrina Mariez existe au quotidien, dans l’ombre, juste à côté de nous. Les hommes qui l’habitent sont nos voisins, nos amis, nos collègues de travail. Ce sont des hommes comme les autres, à ceci près qu’à certains moments, la plupart du temps en secret, chez eux ou dans des endroits réservés, ils se transforment. s’habillent en femme, deviennent femme.
Certains poussent le désir de se transformer jusqu’à accepter les souffrances associées à une chirurgie de transition. Sabrina Mariez a mis longtemps à gagner leur confiance et entrer dans leur intimité. Ces personnages doubles, à l’image du Séraphîtus de Balzac, couvrent la totalité de la psyché humaine, homme et femme. C’est probablement cette complétude, vécue ici le plus souvent comme une indétermination, qui a retenu l’intérêt de Sabrina Mariez. Cette singularité qui intrigue peut être vécue aussi bien comme une fatalité que comme une élection. Après tout Séraphîtus/Séraphîta n’est pas un monstre. C’est un ange séraphin.
La photo présentée ici est celle de David, saisi dans son appartement. Le portrait a été réalisé en 2013 à Amiens. David, quand il passe de l’autre côté de soi, devient Lachantal Peemwhazel. Côté pile, David travaille dans un hôtel, la nuit. Côté face, Lachantal, elle, chante. Dédoublement ? Miroir ? Schizophrénie ? Sabrina Mariez témoigne dans ses portraits photographiques d’une réalité bien plus profonde. Et aussi bien plus ordinaire. Ces hommes femmes - comme chacun d’entre nous - est le produit de trois images. Celle qu’il a de lui-même, celle que lui renvoient les autres, et celle, rêvée, qu’il nourrit au plus profond de soi. Le moi réel, le moi social, le moi idéal.
Les portraits de Sabrina Mariez captent chez ses modèles ce miroitement de l’être, pris entre plusieurs aspirations. Dans des images au chromatisme parfois cruel, la photographe cherche « dans le profond » la vérité du portrait - de ce qui est l’art mimétique par excellence du « trait pour trait ». Avec peut-être, chez ces modèles, le sentiment tragique qu’aucun de ces « moi » ne pourra jamais être satisfait.
Thierry Grillet