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Samuel Gratacap

JOUR DE DÉPART, « EMPIRE », CAMP DE CHOUCHA, TUNISIE, 2013

Impression jet d’encre sur papier fine art contrecollé sur aluminium. 56x70 cm.

Entre 2012 et 2014, Samuel Gratacap se rend plusieurs fois en plein désert tunisien dans le camp de Choucha créé en 2011 par le HCR lors de la première guerre civile libyenne. De ce travail d’immersion au sein de ce camp de réfugiés libyens et subsahariens résulte la série « Empire ». Officiellement démantelé en 2013, le camp a accueilli jusqu’à plusieurs milliers de réfugiés parqués selon leur nationalité ou leur appartenance communautaire. Réfugiés, déplacés se retrouvent « re-placés » dans une pseudo-ville construite de toute pièce à la hâte des aléas de notre Histoire contemporaine. Choucha n’est pas le refuge espéré mais une dystopie matérialisée. 

Sans possibilité de sortir et donc de travailler, ils doivent survivre dans un périmètre délimité et perdu en plein désert. L’existence de magasins et de restaurants au sein du camp font croire à une vie normale. Mais comment vivre et consommer quand on n’a plus rien ? Dans l’attente de la révision de leur statut (la loi tunisienne ne connaît alors pas de loi sur l’asile), de leur départ du camp vers un avenir meilleur, ces hommes vivent dans l’incertitude permanente. Seront-ils renvoyés dans leur pays ou l’asile leur sera-t-il accordé ? Jour de départ nous montre le moment où deux hommes s’étreignent dans l’effervescence de ce qu’on imagine être un départ. L’un deux s’apprête-t-il à quitter le camp ? Sont-ils tous les deux refoulés ? 

À l’arrière-plan, on distingue les vitres du car qui emmènera ceux qui ont été choisis. Samuel Gratacap saisit sur le vif l’heure des adieux où le pathos succède à l’attente interminable. Malgré le tragique absolu de la scène, le photographe saisit l’émotion qui maintient ces hommes dans leur humanité la plus entière. À l’instar des personnages balzaciens prisonniers de leur destin, les hommes de Choucha n’ont aucune prise sur leur vie. L’accolade qui réunit ces deux hommes nous rappelle que tant que l’Homme éprouvera de l’empathie pour son semblable, l’humanité ne faillira pas. 

Clotilde Scordia